La grande affaire, l’unique affaire, c’est de se laisser pousser par la vie. Elle pousse toujours dans notre dos, elle est derrière nous, on ne la voit pas, on ne peut pas la prendre pour s’en servir. C’est elle qui se sert de nous à sa guise. Pour quoi, pour aboutir à quoi, on n’en sait rien et on n’en saura jamais rien. Mais se laisser pousser par la vie suppose d’entrer dans une solitude toujours plus extrême, car, cette expérience-là, on ne peut pas la faire à deux ou à plusieurs. On ne peut pas compter sur un autre pour la faire et on ne peut même pas compter sur soi. Qui pourrait opérer ce dépouillement à la limite supportable, s’il n’était contraint d’y aller, s’il n’y avait pour lui aucune autre issue, aucun autre défilé d’angoisse? Se laisser pousser, mais non, pas se laisser pousser, s’avancer pour satisfaire la vie, ne pas s’arrêter un instant, la vouloir comme le don le plus précieux, comme quelque chose qui se donne toujours quand on est prêt, mais qui se cache et qui devient inaccessible si on veut mettre la main sur elle, parce qu’on est fatigué, parce que c’est harassant de poursuivre, parce que cela ne mène finalement à rien.
François Roustang, Il suffit d’un geste
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