Ça commence toujours par quelque chose comme une plainte – sinon, pourquoi «aller voir quelqu’un» ?

Celle de Zlatan est formulée avec la véhémence de ses vingt ans : «ma mère m’énerve, je ne peux parler de rien d’intéressant avec elle». (Parents séparés, Zlatan n’a plus de contacts avec son père depuis trois ans).

De quoi tu voudrais parler avec elle ? Le débit ralentit… «Je sais pas… ça peut être des relations… sur “qu’est-ce que c’est l’amour ?”, par exemple…» … «L’amour, c’est la seule chose où je suis quasiment sûr que je n’en sais rien…»… «J’ai l’impression d’y être un peu insensible… (silence) ouais… (silence)… ouais… exactement» Je lui demande de partir de son expérience. Son expression se ralentit encore : «… c’est là où ça devient intéressant… euh… (silence)… par exemple être seul, prendre du temps pour soi, c’est un truc que j’ai encore jamais fait. Aller dans la nature et observer, me sensibiliser à tout ce qu’il peut y avoir. Je pense que l’amour ça commence déjà là, en soi, par rapport à tout ce qui nous entoure.» «Avoir ce lien avec une chose… j’ai l’impression de pas savoir, d’être très mauvais pour ça… ou plutôt d’y être pas habitué…»

Je lui demande s’il a déjà vécu des bouts d’expérience «d’être en contact, avoir le lien». Il évoque une situation qui remonte à très loin : un copain de sa mère qui était «fanatique de pêche», «il adorait ça, et me montrait, il venait avec moi. C’était un contact. C’était un apprentissage d’une chose. Ça peut être de l’amour, ça aussi, montrer à quelqu’un ce qu’on aime faire… Et ça, ma mère n’a jamais su me l’offrir… Et j’ai l’impression de vivre dans un monde superficiel, où il n’y a pas vraiment d’intérêt…»

Est-ce que tu voudrais pouvoir vivre maintenant quelque chose comme cette partie de pêche ? «Oui, en famille ou pas, en fait… En famille, parce que c’est dans ce cadre qu’on nous apprend plein de choses. Et maintenant, il faut que je me rende compte qu’on peut se les donner soi-même, en fait, sans avoir besoin de quelqu’un pour le faire». On peut s’offrir quoi ? «Des moment de plaisir avec soi-même. Aller se balader dans la forêt, aller à la pêche… aller lire… Faire des choses en rapport avec la nature elle-même, avec ce qu’elle est.»

J’invite Zlatan à explorer un peu plus, et il arrive sur une envie, un désir – et une peur. De nouveau le rythme se ralentit, la voix baisse : «C’est une peur de se confronter à soi-même. Comme devant une page blanche, ou devant quelqu’un à qui on doit dire quelque chose de très important, ou qu’on doit créer quelque chose avec quelqu’un… ou apprendre quelque chose dont on n’a aucune idée»… «Et quand ça me concerne moi-même, c’est encore plus dur, parce que du coup je ne ressens pas d’émotion…» «ça part, je me déconcentre, je me dissipe». Je lui demande ce qui provoque ça : «le fait d’avoir de la peine à vivre avec mes émotions… de ne pas les accepter… et du coup de devenir quelqu’un d’autre, pour paraître…»

C’est l’endroit où la plainte initiale peut se changer en intention de transformation, que Zlatan formule clairement : «Faire confiance à soi-même ; aller chercher les réponses en nous plutôt qu’à l’extérieur.»

J’invite Zlatan à sentir la source de ce désir, à l’intérieur. Plonger là-dedans. Ici commence le voyage dans l’espace de son propre monde… ce monde est entièrement le tien, cette transe est entièrement et uniquement la tienne… personne d’autre, ici… seulement toi, chez toi… dans le monde de tes ressources…

Et le voyage devient promenade dans la forêt, en prêtant attention à toutes les sensations… et laisser s’enrichir et se déployer toute la profondeur de ta sensibilité, qui te met maintenant en rapport avec toutes ces choses…»… «descendre en prenant le temps qu’il te faut pour goûter entièrement ce riche tissu de sensations, de couleurs, de sons, d’odeurs, de textures, de températures…

Et tu peux descendre plus profondément jusqu’au bord du grand lac… voir les reflets et les mouvements sur la surface… sous la surface… Et tu peux t’offrir une belle partie de pêche, là, à l’intérieur… Faire tous les gestes… observer, tous les sens aux aguets… Et tu apprends… tu apprends tout ce qu’il y a à apprendre dans cette situation… Savoir comment ça marche, la pêche… Et tu peux être maintenant entièrement plongé dans cette attention… avec toutes tes ressources… tu n’as pas besoin que quoi que ce soit vienne à la surface de ta conscience… tu peux être entièrement ouvert vers l’extérieur, vers tes sensations… recevoir…

Et tu sais exactement, et de manière inconsciente, tout ce qu’il y a à faire, tout ce qu’il y a à observer… Tu sais comprendre les mouvements du bouchon sur l’eau… Et si un poisson mord, tu sais exactement, sans avoir à y réfléchir, parce que tu es étroitement en lien avec tout cet environnement, tu sais exactement le geste à faire à ce moment-là, pour éprouver cette joie immense d’attraper le poisson, et de le sentir frétiller au bout de la canne… Et tu peux jouir profondément, à l’intérieur, du plaisir de cette expérience où tout ton être est en rapport étroitement avec le monde, avec les choses du monde…

Et tu peux maintenant, en restant là à l’intérieur, écouter cette histoire, que tu m’as peut-être déjà entendu raconter, mais peu importe…

Je lui raconte l’histoire, transmise par les sages de l’Orient, du petit lion qui se prenait pour un mouton, parce qu’il avait été élevé par un troupeau de moutons. Et qui faisait tout comme un mouton. Jusqu’au moment où un grand lion est venu, l’a pris, et l’a emmené au bord de l’eau.

Comme toi, là, maintenant, au bord de ce lac. Et ce grand lion l’a amené à se voir lui-même, à côté du reflet du grand lion, dans l’eau du lac.

Et j’invite maintenant avec respect ton esprit inconscient à faire apparaître à côté de toi l’image de ton propre grand lion, de ton propre guide intérieur. Et je t’invite, là à l’intérieur, au bord du lac, à te pencher au-dessus de l’eau, à côté de lui, et à regarder. A regarder vos deux reflets. A regarder attentivement, en prenant tout ton temps, en y mettant la même attention que celle que tu as appris à développer pour la pêche, et dans la promenade en forêt. A regarder, à voir qui il est… et qui TU es… comment tu apparais sur le miroir de l’eau, devant tes yeux… à côté de l’image de ton lion intérieur, de ton guide intérieur… qui est comme toi, ou plus exactement, c’est toi qui es comme lui. Tu peux maintenant reconnaître dans l’image là devant toi, sur le miroir, tu peux reconnaître la ressemblance entre les deux images. Prendre le temps de reconnaître, d’observer attentivement les ressemblances entre ces deux images… L’image de Zlatan, au bord de l’eau, et l’image du grand guide intérieur, qui n’est rien d’autre que Zlatan, au bord de l’eau, également… qui n’est rien d’autre que Zlatan se reconnaissant lui-même… prenant le temps de se reconnaître lui-même, et de découvrir là, dans cette expérience même, la possibilité de la confiance, parce que le grand guide est là à l’intérieur… Et que le grand guide donne au plus petit Zlatan quoi que ce soit qu’il ait à lui donner ne change rien au fait que c’est Zlatan, mais Zlatan plus grand que Zlatan, qui se donne à lui-même quoi que ce soit qu’il ait besoin de lui donner.

Et tu peux même maintenant parler au guide, lui demander quoi que ce soit que tu voudrais lui demander. Et surtout lui demander qu’il t’apprenne très précisément, que tu t’apprennes à toi-même très précisément, comment tu peux le retrouver. Qu’il te montre le chemin, le passage… Que tu t’assures maintenant, là à l’intérieur, de bien comprendre le chemin, de manière à pouvoir le retrouver, quand tu voudras ou quand tu en auras besoin.

Et tu peux prendre tout ton temps pour faire cela entièrement, et me signaler simplement que cela aura été fait.

Zlatan prend un très long moment.

Maintenant tu connais le chemin, tu sais que tu peux y retourner quand tu veux. Tu peux donc tranquillement prendre le chemin du retour. Et remonter dans la forêt, t’arrêter dans un endroit confortable, t’installer là, en pleine nature…

Un rêve d’intégration des apprentissages de ce voyage – et comme un palier, en remontant de cette plongée en eaux profondes…

Réorientation vers l’extérieur. Tout en continuant sur le chemin du retour à observer avec attention et sensibilité toutes les choses nouvelles, qui se donnent à observer. Et toutes ces expériences nouvelles viennent remplir encore et encore ce monde de sensations et de perceptions, dans lequel les expériences d’avant se perdent, s’oublient. Mais peu importe, parce que toutes nos expériences et nos sensations sont profondément inscrites en nous à l’intérieur… comme de nouveaux arbres dans la forêt. Et les arbres dans la forêt sont là, toujours, même quand nous ne les voyons pas, même quand nous n’y allons pas, même quand nous n’y pensons pas… et que nous pouvons donc nous occuper d’autres choses… dans le monde extérieur…