A la résilience, je préfère la création, l’invention, la jubilation – la vie.

«Résilience», ce mot très usé, nous vient du vocabulaire des ingénieurs, de l’industrie des matériaux, des machines, notamment de l’armement. Un excellent ouvrage, Contre la résilience, nous apprend par exemple: «La résilience, nous disent les spécialistes en armement, dénote le niveau de capacité d’un système embarqué à tolérance de panne, de pouvoir continuer à fonctionner en mode dégradé tout en évoluant dans un milieu hostile». On peut donc douter que ce soit une métaphore pertinente pour dire un processus vital, comme ce que la thérapie, et tout spécifiquement l’hypnose, cherche à rétablir. Une métaphore dont on a abusé, et qui, comme trop souvent, nous abuse, en donnant à croire qu’il s’agit de préserver la capacité d’un système, d’une machine, de fonctionner tant bien que mal dans un environnement dégradé.
La vie fait que «ça change» tout le temps – et parfois, en effet, ce changement est une «dégradation» (un accident qui laisse des séquelles, la perte d’un être aimé, …). Mais la vie crée aussi tout le temps. L’adaptation ne consiste pas à chercher à continuer «comme avant» alors que le contexte a changé, mais plutôt à laisser la vie inventer de nouvelles formes, en tenant compte de ce qui a changé, pour pouvoir continuer à vivre – et non pour survivre. Vivre, c’est-à-dire désirer, aimer, aller plus loin, «encore», découvrir, inventer. Jubiler.

C’est cela que vise l’hypnose : permettre que le changement soit une «initiation», une invention nouvelle de «qui je suis». «Deviens qui tu es» – et non pas : «efforce-toi de rester qui tu es, quelles que soient les circonstances». Ni, non plus: «tend vers toi-même comme un objectif que tu pourrais te représenter, une identité».
«Deviens qui tu es»: «Invente, toujours de nouveau, qui tu es.»
Il y a une fidélité, quelque chose qui continue, mais c’est une fidélité à une direction, non pas à un état stable, à une identité, à quelque chose qui a été et qui n’est plus. Prendre le risque d’entrer dans le mouvement auquel convie, ou convoque, ce qui change en soi ou autour de soi. Le risque de ne pas s’accrocher : partir à l’aventure. Continuer l’aventure de la vie. Accepter, encore et encore, de ne pas savoir. Parfois c’est l’émerveillement, d’autres fois c’est l’effroi, souvent c’est les deux ensemble.
Survivre, c’est le contraire d’une aventure. L’aventure d’être vivant. La résilience, métaphore mécanique, c’est le refus de l’aventure, de l’incertitude, pour conserver autant que possible, le confort illusoire de ce qu’on connaît.
Par exemple cet homme que sa compagne a quitté et qui vient consulter en me demandant de lui faire oublier cette femme. Mais il n’y a pas de possibilité de supprimer ce qui fait mal, en espérant retrouver intact celui qu’on était. Cet homme est un homme blessé, et cette blessure, cette fêlure, est une invitation à découvrir, à inventer, une autre version de lui-même, à se raconter une histoire nouvelle à propos de qui il est. Une histoire qui permettra de continuer l’aventure – par exemple l’aventure d’aimer et être aimé.
La résilience, c’est refuser de mourir, pour espérer survivre. Mais continuer implique toujours que quelque chose meure. Comme la graine dans le sol, qui doit disparaître pour laisser éclore le potentiel d’arbre qu’elle porte en elle. Ou, encore mieux, comme la chenille, qui doit se dissoudre complètement, dans la chrysalide, jusqu’à n’être plus qu’une bouillie informe de cellules, pour que de celles-ci une nouvelle organisation soit possible, sous la forme du papillon. Jubilation.
Etre vivant, ce n’est pas être résilient, c’est jubiler. Etre émerveillable.

Emerveillable.
C’est ma grande aptitude. Comme on disait “apte au service militaire”, je suis apte à l’émerveillement. En quête. Je me fabrique des étonnements heureux. Je veux toujours voir apparaître le soleil à travers les arbres.
Je suis sans cesse en recherche de lieux, d’instants qui vont déclencher ma capacité d’enchantement. C’est mon savoir-vivre. Je jubile fréquemment. Ma capacité jubilatoire peut naître sur un coup de vent, sur le ronflement particulier de la mer.
Certaines lumières m’enflamment. Alors je vibre. Mais ça peut être aussi bien le chant d’une alouette.
Pour un guetteur de ma sorte, il peut y avoir beaucoup de moments pleins de perfection absolue. J’ai l’oeil. Je me le suis fait.
Olivier de Kersauzon
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