Ils semblaient être dans leur élément et avoir subtilement tiré profit des lois naturelles. Le fait qu’ils glissassent ainsi sur l’eau constituait une belle expérience réussie de philosophie naturelle, qui servait à rehausser à nos yeux l’art de la navigation. Car de même que les oiseaux volent et que les poissons nagent, ces hommes naviguaient. Et nous nous sommes dits, en les voyant, que les actions de l’homme pourraient être plus loyales et plus nobles, et que notre vie entière pourrait être aussi belle que les chefs-d’œuvre de l’art ou de la nature.

H. D. Thoreau

J’aime naviguer. Sur le lac, sur mon voilier, ou en mer, le long des côtes bretonnes ou entre les îles des Cyclades, ou même, il y a deux ans, traverser l’Atlantique. J’aime la vie en bateau, au rythme des quarts. J’aime être au large, c’est aussi être en plein ciel, au contact des éléments, le vent sur le visage, le mouvement des vagues éprouvé dans tout le corps. J’aime être dans un espace où il n’y a pas de routes tracées, où on va librement, où on s’adapte aux éléments, où on choisit le mouillage sûr où on ira s’abriter. J’aime assumer la responsabilité de skipper, emmener d’autres, qui me font confiance, dans cet émerveillement.

Tout cela ressemble par bien des aspects à ce qui se passe dans la traversée que constitue une séance d’hypnose.

Et cette année, en ce moment, c’est le Vendée Globe. Cette course autour du monde, en solitaire, sur des bateaux impressionnants, me fait rêver depuis la première édition, il y a 36 ans. J’admire l’audace, la confiance et les compétences mises en œuvre par ces femmes et ces hommes, pour traverser les océans, les tempêtes, les zones sans vent, en définissant la meilleure trajectoire, en choisissant les voiles qui conviennent au vent et à la mer.

Tout cela aussi ressemble à bien des égards à l’expérience de guider une séance d’hypnose. Accompagner une personne dans la navigation de son océan intérieur, avec les tempêtes d’émotions, parfois, les enlisements dans les calmes plats, le soin à choisir le bon cap, la bonne route, qu’on ne connaît jamais d’avance, aider celle qui s’abandonne à cette aventure à tenir la barre, changer de voiles, trouver la bonne allure, régler le bateau pour qu’il file et glisse dans le flux du vent et la respiration de la houle.

Et même, je joue au Vendée Globe virtuel! Trouver le chemin le plus rapide, qui n’est presque jamais la ligne droite, dans la circulation des dépressions et des anticyclones, toujours en mouvement, toujours changeants, jamais tout à fait conformes au prévisions.

Dans nos vies aussi, c’est ce que nous faisons. Naviguer au mieux dans la météo toujours changeante, et pas toujours prévisible, des circonstances. Celles du dehors, de ce qui nous arrive, mais aussi celles du dedans: après tout, nous sommes nous-mêmes comme un vaste système météo toujours en mouvement. Avec des coups de vent qui nous surprennent sans avoir été annoncés, comme ces jours où nous sommes aux prises, parfois sans raison très claire, avec la confusion, les doutes, l’inconfort chaotique de notre existence, le mal de mer même. Avec des calmes plats, quand les voiles pendent mollement, que nous nous retrouvons, certains jours peut-être dès le réveil, sans élan, sans énergie, découragés. Avec aussi, toujours, la responsabilité de tracer la route. Continuer. Adapter les voiles au plus juste du temps qu’il fait.

Tâcher de faire que notre vie entière soit «aussi belle que les chefs-d’œuvre de l’art ou de la nature».

«On ne commande au vent qu’en lui obéissant», aimait à dire François Roustang.