La formule est de François Roustang, quand il était psychanalyste, proche de Lacan, et qu’il s’étonnait d’une forme de conformisme de ses confrères, soucieux de fidélité à la doctrine des maîtres (Freud, Lacan): «Le psychanalyste ne s’autorise que de lui-même». Elle est à rapprocher de la réponse que donne Milton Erickson quand on lui demande ce qu’il recommande pour apprendre les techniques de l’hypnose, chez qui il recommande d’aller apprendre cela: «Be your own natural self» – «soyez vous même, naturellement.»

Arrogance? Comme si chacun pouvait se proclamer thérapeute, sans avoir à étudier, à apprendre, à savoir quoi que ce soit? Comme si chacun pouvait prétendre qu’il sait?

Tout au contraire: cette attitude reflète l’immense humilité de se présenter à la personne avec qui on travaille sans la moindre prétention à savoir quoi que ce soit, sans se revendiquer de l’autorité d’une doctrine ou d’un maître. Vide. Et libre. Et c’est la condition pour que la personne qui est là dans le fauteuil, qui est venue me voir avec sa plainte, sa souffrance, puisse elle-même retrouver son «own natural self» – sa liberté, qui constitue le cœur même de sa «guérison» (tout autre chose, on le devine, qu’une «solution» à un «problème»).

Dans ce vide, que j’offre par ma seule présence dépouillée de tout savoir, de toute technique, de tout outil disponible, «quelque chose» pourra prendre forme, dont je n’ai pas la moindre idée. Ce sera peut-être à partir de tel mot ou telle phrase prononcée par la personne, ou alors à partir de cette sensation qu’il éprouve dans la poitrine, ou d’une image qu’il évoque, ou d’une image qui me vient en l’écoutant, ou quoi que ce soit d’autre. Et ce sera le début d’un voyage dont je serais le guide sans en connaître la destination (il se pourra même que je n’en sache rien jusqu’au bout). Un voyage qui conduira la personne que j’accompagne à trouver, dans ce vide sans autorité extérieure, sans aucun «il faut», un sol stable, un point d’appui, «quelque chose qui tient», à partir d’où il sera possible de se redresser en tant que «soi-même, naturellement».

Ce dépouillement est tout l’inverse de la récusation de la nécessité d’étudier, d’apprendre, de savoir, pour se satisfaire de ce qu’on croit qu’on saurait. Aucune croyance, aucune opinion – mais c’est étudier et apprendre, et continuer d’étudier et apprendre, qui permet de tenir à distance le savoir, de ne jamais s’en autoriser.

C’est au fond l’attitude de la philosophie, le «tout ce que je sais, c’est que je ne sais rien» de Socrate. C’est donc aussi tout mon chemin dans la philosophie que je mets au service du vide qui permet la liberté des personnes qui viennent me voir.

La liberté du thérapeute implique qu’il renonce à prendre appui sur quelque théorie que ce soit, qu’il ne se réfère à aucune orthodoxie, qu’il ne se soucie pas d’appliquer une technique, mais qu’il soit tout entier présent pour commencer une relation sans armes ni armures.

Un thérapeute ne peut maintenir sa position d’hypnotiseur que s’il fait sienne l’expérience d’une certaine liberté au sein même de sonn travail. Mais que signifie liberté? A partir d’un premier sens classique (liberté comme possibilité de choisir entre deux contraires), nous avons décrit l’expérience hypnotique comme possibilité de ne pas choisir. (Elle se prolongera en possibilité de ne rien choisir pour pouvoir choisir n’importe quoi qui importe.) En conséquence, la liberté du thérapeute prend la figure d’un retrait tant par rapporta au résultat de ce qu’il entreprend, que par rapport aux moyens qu’il utilise. Il sera donc libre dans la mesure où il choisira dans son travail de ne choisir ni le résultat ni le moyen.

Le thérapeute doit amener ainsi le patient au seuil de sa propre liberté.

François Roustang