Guido Albertelli

Hypnose ericksonienne

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I-A !!!

IA… I-A… comme l’âne qui brait. (J’ai plutôt un faible pour les zèbres, mais ce sera pour un autre article ici.)

IA… c’est désormais sur toutes les lèvres. Jusqu’à ce thérapeute qui dans une vidéo veut dissuader qui que ce soit de se lancer dans une formation en hypnose, ou dans toute autre thérapie, puisque cette fonction sera sous peu remplie par des machines, prédit-il du haut d’on ne sait quelle expertise (mais aujourd’hui, dans cette nuit où tous les «chats» sont gris, tout le monde peut se proclamer expert).

La conception de la relation thérapeutique implicite dans une telle prophétie laisse pour le moins songeur… Alors j’ai demandé à une de ces machines à braire si elle pouvait faire de l’hypnose. Et la réponse est au fond plutôt rassurante:

«En tant que modèle de langage, je ne peux pas pratiquer l’hypnose de la même manière qu’un hypnothérapeute. L’hypnose est un processus complexe qui implique une interaction humaine et une relation de confiance entre l’hypnotiseur et la personne hypnotisée.»

Cette réponse est aussi très éclairante sur ce qui se joue dans une séance d’hypnose. «Une interaction humaine et une relation de confiance» ouvrent l’espace, irremplaçable, dans lequel une personne peut en quelque sorte aller à la rencontre d’elle-même et transformer sa vie. Un espace pour être humain, en somme…


IA – c’est le «oui» (JA) de l’âne, dans le Zarathoustra de Nietzsche.

Amen! Louange, honneur, sagesse, reconnaissance, gloire et force à notre Dieu, d’éternité en éternité!

– Et l’âne de répondre I-A!

Il porte nos fardeaux, il a pris la forme d’un serviteur; il est humble de cœur et ne dit jamais non; et qui aime bien son Dieu le châtie bien.

– Et l’âne de répondre I-A!

Il ne parle pas, sauf pour approuver le monde qu’il a créé; c’est sa façon de louer sa création. S’il ne parle pas, c’est par finesse. Aussi a-t-il rarement tort.

– Et l’âne de répondre I-A!

Il passe inaperçu dans le monde. Grise est sa couleur favorite dont il revêt sa vertu. S’il a de l’esprit, il le cache; mais tout le monde croit à ses longues oreilles.

– Et l’âne de répondre I-A!

Que de sagesse cachée dans ces longues oreilles et dans cette décision de dire toujours oui et jamais non! N’a-t-il pas créé le monde à son image, bête au possible?

– Et l’âne de répondre I-A!

Que tu suives des chemins droits ou tortueux, peu t’importe ce qui te semble droit ou tortueux, à nous autres hommes. Ta candeur est de ne pas savoir ce qu’est la candeur.

– Et l’âne de répondre I-A!

Voici, tu ne repousses personne, ni mendiants ni rois. Tu laisses venir à toi les petits enfants et quand les méchants garnements te font des avances, tu réponds simplement: I-A!

– Et l’âne de répondre I-A!

Tu aimes les ânesses et les figues fraîches, tu ne dédaignes pas la bonne chère. Un chardon te ravigote quand tu as faim. Il y a là une sagesse divine.

– Et l’âne de répondre I-A!

Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra

Répétition

Il y a quelque temps au cabinet… Georges me raconte qu’il a dans différents contextes, de manière récurrente, une réaction de colère, incontrôlable, inappropriée, notamment dans des situations professionnelles. Et il souhaite changer cela. Il a épuisé (et s’y est épuisé) les tentatives d’y parvenir en analysant, en rationalisant et en se raisonnant, en s’imposant des efforts volontaires pour se maîtriser.

La plupart d’entre nous connaissent, à des degrés divers, ces comportements indésirables qui se répètent, comme les motifs d’un tissu, qui échappent complètement au contrôle de la volonté, de l’esprit conscient – qui en est pourtant bien conscient.

Cette répétition inconsciente caractérise en fait un grand nombre de nos comportements. Et elle est la plupart du temps bien adaptée. Qu’on se rappelle par exemple comment il a fallu, pour apprendre à écrire, répéter, parfois Au prix de bien des efforts, des lignes de a, de b, de c, etc. – jusqu’à ce que la répétition devienne inconsciente, automatique. Jusqu’à ce que nous soyons capables d’écrire sans plus avoir à y penser. Cet apprentissage est indéniablement utile: on peut essayer d’imaginer comme ce serait pénible d’avoir à répéter consciemment comment former les lettres pour rédiger, par exemple, une simple carte de vœux pour un anniversaire. Sur un autre plan, les concepts à l’aide desquels nous pensons la réalité, et dans une certaine mesure la construisons en classant la diversité chaotique du monde, sont également extrêmement précieux pour nous orienter dans nos vies – sans que nous ayons à y penser. On le mesure bien si on pense à un texte de l’écrivain argentin Borges (cité par le philosophe français Michel Foucault) qui évoque avec humour «une certaine encyclopédie chinoise» où il est écrit que «les animaux se divisent en: a) appartenant à l’Empereur, b) embaumés, c) apprivoisés, d) cochons de lait, e) sirènes, f) fabuleux, g) chiens en liberté, h) inclus dans la présente classification, i) qui s’agitent comme des fous, j) innombrables, k) dessinés en pinceaux très fins en poils de chameau, l) et caetera, m) qui viennent de casser la cruche, n) qui de loin semblent des mouches.» Il paraît évident qu’une telle organisation exigerait non seulement un apprentissage bien laborieux, mais serait aussi bien moins adaptée à notre vie au quotidien, que le classement irréfléchi (mais également appris) à l’aide duquel nous distinguons les chiens des chats ou le poulet du poisson…

Mais il arrive aussi que des apprentissages deviennent des automatismes qui nous compliquent la vie, comme dans le cas de Georges. Ou comme, dans notre culture, le concept de «nature» défini comme l’ensemble de ce qui n’est pas humain, et qui est disponible pour les humains, nous encombre pour penser, et vivre, un nouveau rapport au monde dont nous avons bien besoin, vu la faillite évidente de l’ancien.

Il s’agit alors de mettre fin à cette répétition indésirable.

Dans sa transe, j’ai donc invité Georges à devenir le spectateur de la scène, toute entière, avec tous les personnages et les éléments du décor. A observer, depuis les coulisses ou depuis les travées du théâtre, comment Georges se met en colère de manière inappropriée. Et même à devenir, installé dans un fauteuil du public, le metteur en scène de la répétition qui se déroulait sur le plateau. Et Georges devenait alors celui qui dirigeait Georges, sur la scène, avec le décor et les autres acteurs, en prenant tout le temps nécessaire pour changer ce qu’il y avait à changer. Jusqu’à ce que ce soit bien. Et alors la répétition, dans ce sens un peu différent, devient l’occasion du changement. La répétition, au théâtre, ce n’est pas simplement refaire encore et encore la même chose, c’est aussi ce moment où le metteur en scène (ou un des acteurs) peut modifier, avoir une nouvelle idée, essayer autre chose. «Et si on faisait comme ça, plutôt?». Jusqu’à définir, peu à peu, ou d’un seul coup, ce qui convient, ce qui est ajusté. Et le répéter alors pour le rendre automatique.

La transe, l’expérience hypnotique, constitue en fait le cadre dans lequel peut s’effectuer ce travail de répétition créatrice qui modifie la répétition sclérosée qui encombrait, enfermait, la vie.

Il est parfois pertinent de revenir au moment où s’est fait l’apprentissage du comportement qui se répète pour pouvoir le modifier. Mais ce n’est souvent pas nécessaire. Il suffit de donner l’occasion à l’esprit inconscient, qui est le metteur en scène de toutes nos répétitions, d’avoir une meilleure idée, d’expérimenter autre chose. Et il n’y a rien à chercher, pour cela – ce serait sûrement bien laborieux. Il n’y a pas à comprendre et élaborer d’avance un savoir de ce qui serait adéquat, pour le mettre en œuvre. L’esprit conscient, qui ne sait pas faire autrement, voudrait cela – et s’il y parvenait, cela lui apparaîtrait sans doute tout de suite comme un idéal inatteignable. La répétition en transe permet de se mettre tout de suite à l’endroit où le problème est déjà résolu, et d’où il est possible de réorganiser la scène, l’ensemble du décor, les éclairages, le jeu des acteurs. L’idée qui guide le metteur en scène apparaît comme une idée nouvelle, issue de l’intuition ou de l’expérimentation, mais une fois reconnue elle se révèle être un savoir qui était là depuis toujours, et qui devient d’un seul coup comme une évidence qui va s’imposer à la place de l’ancienne.

A la séance suivante, Georges me dira qu’il est content des changements. Et, peut-être encore plus, d’avoir découvert qu’il pouvait faire autrement que rationaliser pour changer…

Se rencontrer

L’hypnose, la transe, est comme une façon particulière, un peu différente, de se rencontrer soi-même, rencontrer ou retrouver «soi-même dans soi-même». Si je parle souvent de «voyage», c’est un voyage bien particulier: un voyage qui à la fois nous emmène au loin et nous ramène au plus proche. Un voyage où l’on est soi-même le voyageur, le compagnon de voyage, le carosse et la destination. Une destination qu’on ne connaît pas, et que pourtant on reconnaît.

Parfois, c’est un voyage pour retrouver des parties de soi qu’on a en quelque sorte perdues en route (comme dans le traitement d’un trauma). Ou pour aller rencontrer un «soi-même» (et pourtant comme un autre) du futur, «celui qui vous attend, quelque part là-bas, qui se réjouit, et qui est fier, de vous voir en marche vers lui».

L’hypnose pour se parler de soi à soi. De ces rencontres qui changent la vie.

En moi est contenu quelqu’un, quelqu’un d’autre que moi. Cet autre que moi, qui est pourtant moi, est comme plus vaste que moi. Il me contient, me nourrit, me régénère quand il faut, m’aide à mourir quand il faut. C’est un moi plus complexe, plus dense, plus riche que moi. Mais c’est moi. Sa grande force, c’est son aptitude à constituer une relation avec moi-même, de moi à moi. Dialogue souterrain, chuchotement onirique, imprécations drôlatiques, malédictions terrifiantes, supplques grandioses, cette relation intime entre moi et moi peut essuyer bien des intempéries émotionnelles.

Comment accéder plus facilement à cet autre soi-même? Comment donner une chance à des pourparlers avec lui? Comment devenir mon propre ambassadeur auprès de lui? Comment sceller avec lui un nouveau pacte, moins douloureux, plus généreux? Et comment rendre ce type de processus familier à ceux qui y sont restés trop longtemps étrangers? Surtout ceux qui souffrent et que cette façon de faire pourrait soulager, en leur donnant un peu d’espoir, de confiance dans les choses de la vie, et une curiosité neuve pour tout ce qu’ils ont encore à découvrir d’eux-mêmes?

Gérard Salem

Trouver des alliés

Enfants, il nous arrivait d’avoir des amis imaginaires. Socrate avait son daimôn, une divinité qui lui faisait signe. Les poètes et les artistes, au moins depuis Homère, invoquent les Muses. Dans une formidable trilogie de fantasy, A la croisée des mondes (Ph. Pullman), les humains sont reliés à un dæmon, un être de forme animale qui fait partie de lui. Des anges habitent les poèmes de Rilke. Le Zarathoustra de Nietzsche est accompagné d’un aigle et d’un serpent, avec lesquels il dialogue régulièrement. Et bien des adultes invoquent, sous une forme ou une autre, un «ange gardien».

L’idée que nous puissions avoir des alliés, et des alliés puissants, en dehors de la «réalité ordinaire», ne nous est donc pas du tout si étrangère. Mais le «désenchantement du monde» opéré par la modernité nous a privés de ces ressources. La raison, la science et la technique ont voulu libérer les hommes des superstitions et des croyances aliénantes, ont évacué les puissances mystérieuses, la magie et le surnaturel, et ont voulu nous livrer un monde désacralisé, maîtrisable, contrôlable, et exploitable.

Nous-mêmes devenons à nos propres yeux maîtrisables, contrôlables et exploitables: des «ressources humaines», par exemple, appelées bien souvent à «gérer leurs émotions». Et nous en souffrons. Bien loin de la puissance qui semblait promise, nous sombrons dans un sentiment désespérant d’impuissance.

L’hypnose, telle que je la conçois et la pratique, ne renonce en rien à l’intelligence et à la rationalité, mais elle reconnaît et donne toute sa place à d’autres plans, inconscients, de notre esprit. Elle pourrait donc bien constituer aussi un chemin pour retrouver les alliés puissants qui nous font défaut, et nous permettraient de renouer avec une vie plus assurée, confiante, créative – satisfaisante.

La pratique de l’hypnose dans les séances, et de l’autohypnose (que j’enseigne aux personnes que je reçois), offre de multiples possibilités d’établir un autre rapport à soi, au autres et au monde. De trouver des alliés. Rien de nouveau, en fait: ce sont des choses que les humains ont développées depuis très longtemps, sous de multiples formes (de la méditation des bouddhistes ou d’autres «voies spirituelles» à la prise de plantes psychotropes dans différentes régions du monde…). Ces démarches traditionnelles, ancestrales, continuent à l’évidence de représenter des ressources vitales pour nous autres modernes.

J’ai décidé dans ce sens de proposer au cabinet une pratique du «voyage chamanique» (voir ici). Les chamanes traditionnels sont des spécialistes du commerce avec des alliés non-ordinaires. Et nous pouvons certainement apprendre beaucoup, et humblement, de ces pratiques, pour revitaliser nos vies (comme j’ai pu largement en faire directement l’expérience). Il est ainsi possible d’acquérir très simplement les bases nécessaires pour pouvoir «voyager», en toute sécurité, dans des réalités qu’on dira «non-ordinaires», pour y trouver le soutien, la force et la sagesse, de ses propres alliés. Je suis pour cela le protocole du «Harner Shamanic Counseling», approche dans laquelle je me suis formé en 2016-17 (diplôme de la FSS – Foundation for Shamanic Studies).

«Mais comment peux-tu croire à la réalité de choses comme des esprits animaux?», m’a dit une fois, agacé, quelqu’un qui me connaît bien. J’ai répondu que je ne croyais rien – mais je sais, pour en avoir fait, et en faire encore, l’épreuve, qu’on peut vivre des expériences qui se laissent décrire de façon appropriée de cette façon-là. Et je peux très bien me contenter de les considérer comme de puissantes métaphores, qui peuvent inspirer la pratique de l’hypnose. Exactement comme, par ailleurs, «(esprit) inconscient» me paraît également constituer une métaphore, également appropriée, mais sans les charmes des images et de la magie des «mondes non-ordinaires» (pour celles et ceux qui aiment cette poésie-là). Aucun besoin, donc, de croire en quoi que ce soit, ou d’adopter des superstitions exotiques et ésotériques. Il suffit d’accepter de «faire comme si». Et laisser votre imagination, dont les pouvoirs extraordinaires sont libérés dans la transe hypnotique, faire le reste.

Trouver la bonne place

Une variation sur l’idée de «trouver sa route». Et toujours, au fond comme Erickson avec le cheval, sans rien faire.

«La difficulté de l’effectuation de l’état hypnotique, c’est qu’on se laisse aller à ne rien faire. Si on fait quelque chose, ce n’est pas efficace. L’efficacité de l’hypnose, elle est dans ne rien faire. Si vous ne faites rien, alors spontanément vous allez trouver la bonne place.»

Vous voulez essayer? C’est par ici.

Trouver sa route

Au commencement d’une thérapie ou d’un enseignement, il est souvent utile de revenir au début de la route véritable.

Stanley Rosen

«Erickson concevait de quelles différentes façons le développement et la croissance peuvent être déformés et déviés, mais il était d’avis que c’est le rôle du thérapeute de ramener l’individu sur sa «route véritable» personnelle.
Dans cet esprit il racontait l’histoire d’un cheval qui errait dans la cour familiale lorsqu’il était jeune. Le cheval n’avait aucune marque pouvant permettre de l’identifier. Erickson proposa de le rendre à ses propriétaires et, pour ce faire, monta simplement dessus, le mena à la route, et le laissa décider de son chemin. Il n’intervenait que lorsque le cheval quittait la route pour brouter ou se promener dans un champ. Lorsqu’enfin le cheval arriva dans la cour d’un voisin, à quelques kilomètres de là, le voisin demanda à Erickson: “Comment avez-vous su que ce cheval venait d’ici et nous appartenait?” Erickson répondit: “Moi, je ne le savais pas, mais le cheval le savait, lui. Tout ce que j’ai fait, c’est de lui faire garder la route.”»

(S. Rosen, M. Erickson, Ma voix t’accompagnera)

«Homme libre, toujours tu chériras la mer!»

Il y a quelques années, sans préciser davantage, n’ayant plus d’argent ou presque et rien de particulier à faire à terre, l’envie me prit de naviguer encore un peu et de revoir le monde de l’eau. C’est ma façon à moi de chasser le cafard et de me purger le sang. Chaque homme, à quelque période de sa vie, a eu la même soif d’Océan que moi.

H. Melville, Moby Dick

Naître, grandir devenir adulte, travailler, fonder une famille, perdre des êtres chers, vieillir, et finalement mourir: la vie n’est faite que de changements. Changer n’est pas facultatif – par contre le sens que nous donnons au changement dépend de nous. Notre vie est en continuelle transformation, et il nous appartient de définir la direction de ce mouvement, en adaptant notre allure, comme les marins, à la force et à la direction du vent, à l’état de la mer. Il y a ce qui arrive, qui ne dépend pas de nous, et le cap que nous suivons.

La navigation à la voile est une belle métaphore de cette réalité.

Il se peut que ce cap ne soit pas conscient, et qu’il ait besoin d’être manifesté, et éventuellement corrigé. Il se peut aussi qu’il ait besoin d’être déterminé, pour que notre vie ne soit pas ballotée en tous sens, au gré des événements et des éléments.

Il se peut aussi que nous ayons parfois le sentiment d’être coincés au port, dans le confort inconfortable d’une existence à quai.

L’hypnose est alors comme un moyen simple, et puissant, de larguer les amarres, de reprendre le large, de reprendre le cap. Une manière de retrouver les ressources nécessaires pour naviguer les étendues libres de notre vie, tenir la barre, garder le cap. C’est comme apprendre à lire les cartes et la météo de son océan intérieur, débrancher le pilote automatique et fixer le cap sur de nouveaux horizons, ajuster le réglage des voiles pour filer avec aisance.

La grande aisance de vivre au large.

Bonne année!

«Aujourd’hui, chacun s’autorise à exprimer son vœu et sa pensée la plus chère: eh bien, je veux dire moi aussi, ce que je me suis aujourd’hui souhaité à moi-même quelle pensée m’est venue à l’esprit la première cette année, – quelle pensée doit être pour moi le fondement, la garantie et la douceur de toute vie à venir! Je veux apprendre toujours plus à voir dans la nécessité des choses le beau: je serai ainsi l’un de ceux qui embellissent les choses. Amor fait: que ce soit dorénavant mon amour! Je ne veux pas faire la guerre au laid. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Que regarder ailleurs soit mon unique négation! Et somme toute, en grand: je veux même, en toutes circonstances, n’être plus qu’un homme qui dit oui!»

(F. Nietzsche)

Nature quest

Rite de passage, écologie profonde en pratique

Jura, 13 au 18 juillet 2025

Carine Roth, Guido Albertelli

Quand quelqu’un peut se réduire à l’état d’être vivant, à ce moment-là, il est déjà guéri. Parce qu’il se resitue dans son propre corps, ou par rapport à son propre corps, il se resitue par rapport à son milieu, il se resitue par rapport à son entourage, à son travail, à tout l’environnement. Ça suffit. (…) Moi, il me semble maintenant que l’essentiel, c’est de revenir à l’animisme. C’est-à-dire : nous sommes des vivants, tout est vivant, nous devons nous situer par rapport à ça. On retrouve la base de notre humanité, qui est le fait que nous sommes des vivants. Et ça suffit. (…) On entre dans un mouvement où toutes les choses peuvent communiquer les unes avec les autres. Ça nous donne l’impression d’un chaos, mais c’est simplement parce qu’il y a trop d’éléments qui puissent être saisis par l’intelligence discursive.

François Roustang

Dans une séance d’hypnose, tout cela se passe en quelque sorte «à l’intérieur» – mais un intérieur qui ne se laisse plus vraiment distinguer de l’extérieur, un intérieur où l’on découvre que ce qui transforme et guérit, c’est de retrouver les liens avec le «dehors», avec un monde «sauvage». Entrer en contact, ne plus esquiver, refuser, quoi que ce soit de la réalité de la situation – ou du monde. Ce qui nous fait souffrir, c’est de se prendre pour un petit moi isolé, alors que ce qui nous soutient, c’est de découvrir que ce «je» peut retrouver tous les liens sans lesquels il n’existe pas. Découvrir, en somme, que ce «je» est un «nous».

Pour cela, il suffit, en réalité, de réapprendre à sentir. Sentir son corps, sentir le monde, sentir les connexions. Et si cela peut se produire dans le fauteuil d’un thérapeute, cela peut aussi advenir, très simplement, en allant s’asseoir dans la nature…

De là, cette proposition d’écologie profonde en pratique, que nous nommons pour l’instant, et faute de mieux, de ces expressions anglaises: «nature quest».

Une démarche de «théorie et pratique animiste», conçue comme un rite de passage. Une invitation à venir vivre dans la nature, à l’écoute du vivant, avec l’expérience de 24 heures, seul, en jeûnant : s’extraire des cadres figés, qui ne tiennent plus vraiment, ou auxquels vous ne tenez plus vraiment, oser lâcher-prise ; prendre le risque de l’inconnu, aller passer ce temps dehors, et sentir tous les liens avec le monde, sentir la réalité d’en faire partie, d’être ce «nous» ; en ramener quelque chose qui tient, qui soutient. En revenir transformé.

Informations pratiques et inscription sur le site de l’association RoP – rite de passage


Ce qui fonde peut-être pas notre bonheur, mais notre joie (monnaie qui n’a plus cours et qu’il est mal vu d’évoquer), c’est que ça tient, qu’il y a un monde fait sans doute d’accords et de discordances, un monde qui tient encore aujourd’hui, une vie qui continue à proliférer, qui tue sans cesse et qui fait naître. Demain, impossible de savoir. Ce sera peut-être le retour au grand chaos, mais aujourd’hui le soleil s’est levé, il y a encore des plantes qui poussent malgré les ravages de la nature et des hommes, il y a encore du vent. Une telle évocation fera sourire, comme si nous dépendions encore du cosmos, comme si toutes ces histoires et ces légendes n’étaient pas enterrées pour toujours. L’évidence, non pas la croyance – nous n’en avons que faire -, l’évidence que ça tient est au bout du compte le seul roc sur lequel nous puissions nous appuyer et peu importe notre petite histoire à nous. Ou bien elle importe dans la mesure où elle s’inscrit dans le mouvement du monde qui, en cet instant, existe encore.» (F. Roustang)

Ça va aller

L’autre jour, au cabinet.

Hélène avait pris rendez-vous pour arrêter de fumer. On s’est déjà vus une fois, pour une séance qui avait conduit à ouvrir un peu la porte de toutes les émotions impliquées, et que le tabac, disait-elle, l’aidait à gérer.

Dans le temps entre ces deux séances, ce travail avec les émotions s’est poursuivi – la séance ne s’arrête évidemment pas en sortant du cabinet (de même qu’elle commence bien avant d’y entrer…). Hélène avait notamment mis à profit une journée de formation en coaching pour poursuivre l’exploration de ce monde qu’elle (re)découvrait. Et avait appris bien des choses.

Elle me raconte un épisode au travail, un entretien avec une collaboratrice, qui était revenue la voir un peu après pour lui demander pourquoi elle était en colère, fâchée contre elle. Hélène était surprise: elle n’avait rien à reprocher à cette collaboratrice, n’éprouvait aucune animosité. Mais elle reconnaît aussi qu’elle était sans doute un peu «agitée» durant cet entretien. Une fois son interlocutrice rassurée, elle s’intéresse un peu plus à cette émotion, et découvre… de la peur: elle s’avoue qu’elle est inquiète, parce que le projet sur lequel elle travaille avec sa collaboratrice comporte de gros enjeux. Elle ne s’éprouvait pas comme ça, jusque-là, elle connaissait sa colère, sa tristesse, mais ignorait qu’elle éprouvait aussi de la peur – découverte qu’elle met en rapport avec ce qu’elle avait pu ouvrir en elle en partant des émotions liées à la cigarette. Elle reconnaît que ce que sa collaboratrice avait interprété comme de la colère était en fait l’expression de cette peur qu’elle éprouvait sans le savoir.

Et à ce moment-là, quelque chose change radicalement. A son propre étonnement, cette peur dont elle n’avait plus peur se transforme d’elle-même, sans rien faire, en un sentiment de confiance, qui dit, à l’intérieur, quelque chose comme: «En fait, ça va aller!». Soulagement immédiat, tranquillité.

Comment comprendre? C’est en fait le contraire de «gérer» l’émotion, comme si celle-ci devait être soumise à la règle de la conscience, de la raison, de la volonté. Il y a d’une part, ici, le fait que l’émotion est reconnue, entendue – et il m’arrive régulièrement, pendant une séance, de suggérer que «quand ce qui a besoin d’être dit peut être dit, quand ce qui a besoin d’être écouté peut être écouté, ça fait une énorme différence». Pas besoin de discuter, ni même de comprendre, comme l’esprit conscient veut toujours faire – juste écouter. Et il y a d’autre part (mais c’est aussi la même chose) le fait que cette émotion, ou plus exactement la partie de la personne qui s’exprime dans cette émotion, au lieu d’être séparée, tenue à l’écart, est réintégrée dans l’entier du contexte de la vie, est reprise dans le flux de la vie de la personne, soutenue, entourée, par toutes les ressources de cette personne – celles qu’elle connaît et celles qu’elle ne connaît pas, mais sur lesquelles néanmoins elle s’appuie, avec confiance.

Rien à gérer – ne rien faire, laisser faire.

Et ça va aller.

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